C’est une drôle de fête pour nous les femmes aujourd’hui : en ce 8 mars, nous sommes à l’honneur, ou plutôt, les inégalités que nous subissons au quotidien sont au coeur de cette journée internationale, créée en Russie en 1921 et officialisée par l’ONU en 1977. A Berlin, la date est d’autant plus symbolique que la capitale allemande a choisi d’en faire un jour férié depuis l’an dernier. L’occasion pour moi de revenir sur mon expérience de femme à l’étranger, en Angleterre, où j’ai habité un an en 2017, et en Allemagne, où je vis depuis deux ans. Je vous livre donc mon analyse toute personnelle sur les différences que j’ai pu noter dans mon quotidien dans ces trois pays.

1) Le harcèlement de rue, un fléau bien français ?

Comme toute Française ayant grandi dans la nation des Lumières, j’ai intégré le harcèlement de rue à mon quotidien très tôt, dès l’âge de 13 ans je dirais. Me faire déshabiller du regard, siffler, insulter, juger sur mon physique sont des situations que j’ai vécues maintes fois. Rien de bien « grave » me direz-vous. « Seulement » des remarques déplacées ou humiliantes, des regards appuyés, parfois (mais rarement) des insultes. Cependant, j’ai intégré très vite que mon corps, sur la place publique, pouvait être commenté haut et fort et en toute impunité par la gent masculine. Les conseils de mon entourage, « Ne t’habille pas de manière provocante », « Ne sors pas à tel endroit » ont renforcé le sentiment que ce phénomène était, quelque part, normal, et que nous les femmes (et les très jeunes filles) devions être prêtes à le subir en nous exposant seules dans la rue.

Je ne sens plus le regard pesant des hommes sur moi

Quand j’ai déménagé dans la banlieue de Londres, j’ai vécu un énorme choc culturel. D’abord parce que je parlais anglais comme une vache espagnole  (mais ceci est une autre histoire) mais aussi parce que j’ai découvert un pays où l’on peut sortir en micro-short sans se faire insulter. Ou on peut être une fille, se saouler jusqu’à la mort, porter des talons, une minijupe (ou pas d’ailleurs) et ne pas subir le sexisme ordinaire que j’ai vécu en France. En Allemagne, où j’ai déménagé en décembre 2017, je ne me suis jamais faite harceler dans la rue. JAMAIS. Je ne sens plus le regard pesant des hommes sur moi quand je mets un pied dehors, même si j’ai toujours cette petite voix intérieure qui me susurre de ne pas porter telle ou telle tenue de peur d’attirer l’attention. Néanmoins, pour moi, c’est un soulagement énorme car cela m’a redonné cette liberté fondamentale de me déplacer seule sans transpirer d’angoisse en passant devant un groupe d’hommes, sans avoir la peur qui me tord les tripes lorsque je dois rentrer seule le soir (bon d’accord, j’ai toujours un peu la frousse #sequelles).

Alors bien sûr, je ne dis pas que le harcèlement de rue et le sexisme n’existent pas Outre-Manche ni Outre-Rhin. Le patriarcat ne s’est malheureusement pas arrêté à leurs frontières (voir paragraphes suivants) et il y a des abrutis/pervers partout dans le monde. Mais vivre à l’étranger m’a permis de déconstruire les discours culpabilisateurs qui pointent du doigt les femmes, leur façon de s’habiller et d’agir, qui provoqueraient ces comportements puisque sans rien changer, j’ai bien vu que dans d’autres pays, je ne faisais pas l’objet de telles « attentions ».

« Jolie culotte »
Le titre vous met mal à l’aise ? Imaginez ma tête quand, un beau jour d’été à Bordeaux, alors que je pédalais paisiblement vêtue d’une jupe-short, un malotru s’est mis à pédaler à ma hauteur tout en me déshabillant de la tête aux pieds avant de lancer cette drôle d’invective. Tremblante de colère et de honte, j’ai continué ma route le coeur battant, sans rien oser dire, comme d’habitude. Et lui de poursuivre, en répétant plusieurs fois : « Tu es bien épilée, wouah, tu es fière de toi ? » (ne me demandez pas la logique de la question, je n’ai toujours pas compris), ponctuant sa phrase par une queue de poisson m’obligeant à freiner. Folle de rage, le seul réflexe que j’ai eu a été de faire usage de mon majeur (on fait comme on peut dans ces situations), lui donnant l’opportunité d’hurler, les lèvres tordues par la haine (oui, la haine) : « T’es vulgaire comme meuf ! Vulgaire, vulgaire, vulgaire ! ». Je crois d’ailleurs que c’est ce qui m’a le plus choqué, la haine et le mépris que cet illustre inconnu m’a crachés au visage pour le simple fait d’avoir osé faire du vélo en jupe. Son regard pénétrant, ses mots, crus, violents, décrivant mon intimité, m’ont fait me sentir aussi sale que s’il m’avait touchée. Quand je me suis arrêtée, toujours aussi tremblante, la première pensée qui m’est venue fut : « Mais pourquoi diable ai-je mis cette jupe pour faire du vélo ? » Foutu conditionnement.

2) La contraception et l’avortement, pas automatiques

La pilule contraceptive
L’Etat allemand considère que la contraception ne doit pas être supportée par le système de santé publique.

Ce que je trouve intéressant en vivant à l’étranger, c’est que l’on perçoit son pays d’origine d’une tout autre manière, en prenant par exemple conscience que les droits que nous avons ici ne sont pas garantis partout, même chez nos voisins les plus proches. Comme le remboursement de la pilule, ou le droit d’avorter. Je vais me concentrer ici exclusivement sur l’Allemagne car c’est le pays où je vis actuellement. Qu’elle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert, sur un groupe d’expats, que la pilule contraceptive n’était remboursée en Allemagne… que jusqu’à l’âge de 22 ans ! L’Etat allemand considère en effet que l’assurance maladie ne doit rembourser que les maladies, ce qui n’est pas le cas de la contraception 🙁

L’avortement, une exception selon la loi allemande

Et autant vous dire que je suis restée complètement scotchée le jour où j’ai appris que l’avortement était officiellement illégal. En effet, selon le code pénal allemand, l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) est condamnable même si, en pratique, il est possible d’avorter les 12 premières semaines de grossesse après un délai de réflexion de trois jours suivant la première consultation. Mais le symbole est fort: légalement, ce droit n’en est pas un en Allemagne, puisque cela reste officiellement « une exception » que l’on vous accorde. Jusqu’à très récemment, les médecins qui pratiquent cette intervention n’avaient même pas le droit de le mentionner sur leur site Internet, rendant de fait l’avortement difficilement accessible puisque les patientes n’avaient alors aucun moyen de trouver ces gynécologues! Pour moi qui ai déménagé à Berlin avec des étoiles progressistes plein les yeux, j’ai vraiment déchanté en apprenant cette vérité dont je n’avais jamais entendu parler. Dans le même temps, j’ai pris conscience de la culture conservatrice qui marque encore au fer le voisin germanique, probablement influencé par les politiques de la CDU/CSU, le parti chrétien qui cumule près de 50 ans de règne à la tête du gouvernement fédéral, dans un pays, où rappelons-le, la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’existe pas. Combinez à cela  une natalité en berne et une industrie pharmaceutique qui n’a aucun intérêt à ce que la pilule soit remboursée par le système de santé publique, et vous comprenez mieux pourquoi pilule et avortement ne sont pas si automatiques en Allemagne.

3) Le poids de la femme-mère en Allemagne

le poids d'être mère en Allemagne
J’ai été surprise de voir à quel point les Allemands avaient une vision très conservatrice de la maternité.

Peut-être à cause d’Angela Merkel, à la tête du gouvernement allemand depuis 2005, avant de déménager à Berlin, je pensais naïvement que l’Allemagne était un pays où les rapports homme – femme étaient plus égaux qu’en France. J’imaginais un pays où le cliché du mâle macho enturbanné dans des préjugés datant de la Préhistoire n’existait pas et où les femmes séduisent les hommes sans passer pour des allumeuses. Et c’est en parti vrai. Il n’empêche que chez nos voisins d’Outre-Rhin, lorsqu’une femme décide de procréer, son rôle de mère est pris très au sérieux. Il existe même un terme pour décrire les femmes qui ne s’occuperaient pas assez bien de leur(s) progéniture(s) : Rabenmutter, qui signifie mère corbeau. Qu’est-ce-qu’une mère corbeau? Pour faire court, les mères tricolores pourraient être des Rabenmutter puisqu’Outre-Rhin, il est par exemple mal vu qu’une femme reprenne son travail quelques mois après avoir accouché. Ce concept induit une sorte de sacrifice que toute bonne mère devrait faire, laissant ainsi carrière et ambitions personnelles de côté. A noter aussi que ce concept serait plus prégnant en Allemagne de l’Ouest, l’Est étant marqué par la culture communiste de la RDA, où les femmes, indispensables à l’économie, travaillaient au même titre que les hommes.

Rabenmutter et taux de natalité en berne

Cette image de mère corbeau, bien que s’essoufflant, serait cependant toujours bien présente dans l’inconscient collectif et pourrait en partie expliquer pourquoi l’Allemagne enregistre un taux de natalité parmi les plus bas d’Europe (1,59 en 2016 contre 1,8 en France). En effet, certaines femmes Allemandes renonceraient carrément à avoir des enfants pour ne pas avoir à sacrifier leur carrière… ou être taxées de Rabenmutter. Sur les réseaux sociaux, plusieurs femmes m’ont confié la pression qu’elles ressentent en tant que mère ou future mère : « Les gens jugent constamment les mères en Allemagne, qu’elles choisissent de rester à la maison ou de retourner travailler. Moi-même je n’arrive pas à me détacher de ces jugements ». Une autre m’a raconté avoir subi des remarques de la part de sa belle-famille lorsqu’elle a repris le travail quelques mois après la naissance de son enfant. On m’a aussi expliqué que les crèches avaient beaucoup de mal à recruter car de nombreux éducateurs pensent que c’est aux mères de s’occuper des tout-petits. Au fait, saviez-vous qu’Angela Merkel elle-même n’avait jamais eu d’enfant ?

Les mentalités, toutefois, bougent doucement. Le taux de natalité étant le talon d’Achille de l’Allemagne, les politiques familiales ont largement favorisé l’équilibre famille-travail, avec la création de nombreuses places en crèches, notamment à l’Ouest (400.000 places créées entre 2005 et 2018). La mise en place d’un congé parental d’un an pouvant octroyer jusqu’à plus de 60% du salaire du parent s’arrêtant de travailler a aussi été voulue pour donner la possibilité aux pères de s’occuper de leurs enfants. Malgré tout, ce sont toujours majoritairement les femmes qui sacrifient leur carrière. En 2010, selon l’Ined, les mères de l’ouest de l’Allemagne s’arrêtaient de travailler en moyenne 3 ans après leur grossesse.

4) Le style vestimentaire, une affaire culturelle

Le style vestimentaire selon les pays
En déménageant à Londres puis Berlin, j’ai aussi vécu un choc stylistique…

On termine sur un ton plus léger mais je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce sujet par ailleurs plus subtil qu’il n’y paraît. Avez-vous remarqué que chaque ville ou pays est marqué par un style vestimentaire et des modes qui lui est propre? Quand je voyage, qu’il s’agisse de mon trajet pour aller au boulot ou à l’autre bout du monde, j’aime observer les gens et leur façon de s’habiller, qui en dit, selon moi, long sur eux et le groupe social auquel ils s’identifient. Ayant grandi en France, j’ai toujours aimé le style de la femme française cliché : marinière, Tropéziennes, robes élégantes, trench classique, un style sophistiqué, définitivement féminin mais plutôt discret, sans trop de maquillage, de couleurs ou de pièces trop extravagantes.

A Londres

Lorsque j’ai déménagé à Londres, j’ai découvert des styles beaucoup plus tranchés, voire complètement loufoques : crinière rose ou bleue, maquillage prononcé, tenues bariolées, paillettes, jupes microscopiques portées sans collant été comme hiver… Les femmes londoniennes sont bien plus créatives et libérées que nous les Françaises ! Pour la première fois de ma vie, j’ai commencé à trouver le style que j’aimais tant un brin ennuyant. Et même si je trouve parfois les Britanniques un peu too much (combien de fois me suis-je sentie « underdressed » face à des Anglaises en robe de cocktail et faux cils pour aller simplement siroter une bière!), cette année de l’autre côté de la Manche m’a permis de me détacher des codes vestimentaires (et sociaux) français, régis par une certaine idée du bon goût. Mois après mois, j’ai commencé à enfiler des tenues sans me poser la question du regard de l’autre et des possibles jugements auxquels j’aurais à faire en portant tel ou tel vêtement (cf paragraphe sur le harcèlement de rue).

A Berlin

Le style à Berlin
A Berlin, la praticité l’emporte…

Dans la capitale allemande, ma ville de coeur, j’ai découvert une féminité bien loin des codes établis dans mon pays de naissance : dans l’ex-ville du rideau de fer, exit les beautés lisses et sages au profit d’un style plus brut, plus dark – vous êtes dans le berceau de la techno, des punks et du libertinage après tout. Place aux guerrières chevauchant leur vélo armées de Doc Martens à plateau ou de Birkenstock confortables, coiffées de carrés courts espiègles. Ou de beautés graciles au crâne rasé et aux bras tatoués, aux vestes en jean trop grandes et au corps lacéré de piercings. A Berlin, le confort est la règle stylistique qui tient le haut du pavé, dans une ville où les déplacements prennent du temps (la capitale allemande est 8 fois plus grande que Paris, donc laissez tomber les stilettos), où la petite reine n’a jamais aussi bien porté son nom, où le vent sibérien s’engouffre dans les délicats manteaux en laine, que l’on troque pour des doudounes emmitoufflantes et chaudes ! Voilà aussi pourquoi j’aime tant Berlin : on y croise tous les styles, de la punk sophistiquée à la bohème branchée à lunettes, en passant par la modeuse au sac griffé, la sportive en sneakers et leggings ou la flemmarde qui a sauté dans les premiers vêtements trouvés dans son armoire. C’est bête, mais cette diversité de styles m’a enlevé la pression de devoir faire un effort pour m’habiller car mon oeil n’est plus habitué à voir des femmes au look parfaitement soigné, à la tenue coordonnée et au wavy impeccable. Et puis, je l’avoue : une ville où les Birkenstock sont plus branchées que les Louboutin, c’est quand même chouette car ça renvoie le message que l’on a pas besoin de souffrir ou de vider son PEL pour être au comble de la coolitude. Mes petons (et mon banquier virtuel N26) n’ont jamais été aussi heureux.

Si vous vivez ou avez vécu à l’étranger, je serais curieuse d’avoir votre ressenti sur les différences que vous avez notées, en tant que femme, dans d’autres pays, donc n’hésitez pas à raconter votre histoire dans les commentaires 🙂

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