Quand l’élégance de la couture parisienne rencontre la nonchalance berlinoise : tel pourrait-on résumer le style Aurelia Paumelle. Des vêtements impeccablement taillés, sobres et unisexes. Créatrice de mode issue de prestigieuses maisons comme Galliano ou Saint Laurent, Aurelia Paumelle a posé ses valises dans la capitale allemande il y a maintenant dix ans. 

La Mecque de la techno lui a permis d’ouvrir sa boutique de vêtements et de laisser éclore sa personnalité singulière, loin du conformisme de la capitale française.

Pour cette Normande, c’est donc un virage à 360 degrés qui s’opère quand elle quitte Paris, en 2011. Et la fin d’une carrière de presque 10 ans en tant que modéliste patronnière, dans des ateliers aussi renommés que Galliano, Saint Laurent ou Vanessa Bruno. Mais les heures de travail acharnées enchaînées lors de la conception des collections, suivies des semaines de repos forcé pour récupérer, l’ont, au fil des années, usée. « C’est un milieu difficile, reconnaît Aurelia. Si tu te rates, on ne te donne pas de deuxième chance. Je sentais que j’avais un stress qui augmentait chaque année. Physiquement, j’étais épuisée alors que je n’avais que 32 ans.  »

Été 2011, Aurelia file rejoindre une amie à Berlin, pour prendre l’air. Elle découvre Kötti, sa foule bigarrée et les longues nuits martelées par la techno et l’insouciance. « J’ai tout de suite su qu’il y avait quelque chose pour moi dans cette ville. J’ai rencontré plein de gens cet été-là », se rappelle-t-elle.

Quelques mois plus tard, coup du destin : une connaissance la contacte, car un créateur de costumes pour hommes recherche un·e modéliste, dans une boutique à Berlin. « J’ai sauté sur l’occasion. C’est comme ça que tout a commencé », sourit Aurelia.

Voyage stylistique dans l’underground berlinois

Dans cette ville marquée au fer par un passé aussi sombre que fascinant, Aurelia se passionne pour le style de ceux qui l’habitent : « Berlin, c’est une ville dure, mais qui est fière, il y a une sorte de dignité et ça se voit dans le style de ses habitant·es. Les gens ici s’approprient leurs vêtements, et c’est la grande différence avec les tendances. » 

En l’écoutant parler, je me plais à imaginer ce que le Berlin d’il y a dix ans a pu être. « À l’époque, on allait au Bar 25, tout le monde dansait en jogging Adidas à trois bandes, sourit-elle. J’allais souvent au marché turc et je regardais la rue, qui était un véritable défilé avec l’ambiance populaire turque, et les artistes qui se mélangeaient aux jeunes parents. »

Au fil des mois, le style d’Aurelia évolue : exit les sacs à main et les talons, peu pratiques pour arpenter l’immensité berlinoise et survivre aux hivers glaciaux. À la place, la styliste parisienne adopte la sacoche banane, un accessoire qui représente bien le style berlinois selon elle. « Je n’en aurai jamais porté avant, mais c’est vraiment pratique. Je me déplace en vélo, donc la banane c’est un accessoire safe, ça me permet de ne plus perdre mes affaires. Je l’utilise comme une ceinture sur les manteaux. Parfois, on dirait une Babouchka, avec mes bottes fourrées et mon bandeau framboise ! À Paris, je ne me serais jamais habillée comme ça, j’aurais pris des taxis pour ne pas avoir froid, mais pour être impeccable. »

La naissance de la marque et de l’ADN Aurelia Paumelle

Dans cette ville « no bullshit », Aurelia sait qu’elle a la place pour réaliser son rêve : ouvrir sa propre boutique de vêtements. « À Paris ça n’aurait pas fonctionné, affirme-t-elle. Trop cher, trop de compétition. Paris, c’est une ville d’élites avec des vieilles familles, donc c’est difficile de se faire une place. » 

Après son expérience dans la boutique de costumes pour hommes, l’idée de créer sa propre ligne de vêtements revient la chatouiller.

Ayant souffert d’une forte pression sociale, revers de la médaille pour entrer dans le cercle select de la mode parisienne, cela lui donne à réfléchir sur le type de vêtement qu’elle souhaite créer : « J’ai commencé à concevoir une ligne de T-shirts pour hommes avec l’idée que tu pouvais partir le matin, aller travailler et pouvoir aussi aller dîner, à un concert ou un autre événement, sans avoir à te changer. »

Un T-shirt qui allie le tombé parfait d’un savoir-faire « couture » à la simplicité du street wear, très présent à Berlin. « Faire du casual quelque chose de chic et confortable à porter », résume-t-elle. Ce T-shirt deviendra l’emblème de son style.

« Mon idée a toujours été de fusionner le côté couture et street wear. Comme dans ma vie en fait, fusionner le côté élégant, mais accessible. Ma personnalité est comme ça : j’aime offrir de la qualité, mais de manière accessible. »

Très vite, l’idée d’une collection unisexe vient compléter l’ADN de la marque : « Je n’ai jamais été très girly dans ma façon de m’habiller. J’ai toujours aimé les tenus style Saint Laurent, les smokings, etc. J’ai une personnalité forte, je suis grande et j’ai un côté masculin qui ressort. Ma marque me ressemble. »

« Aujourd’hui, je propose surtout des longs manteaux inspiration robe de chambre Dior, j’ai épuré les T-shirts pour développer les blousons et les sweats. Ce que j’aime, c’est créer des pièces, pas uniques, mais singulières, en combinant différents motifs et matières. Je produis tout le temps. Je peux aussi adapter les pièces, mais je ne fais pas de tailleur. Je propose un style, et les gens peuvent choisir un tissu de mon stock », précise-t-elle.

Une production artisanale avec des matières nobles récupérées

Car son éducation dans l’élite de la mode française lui a aussi fait prendre conscience de l’importance des belles matières… et du gaspillage de ces dernières : « J’ai vu, dans certaines maisons parisiennes, des fourrures être brûlées, des fins de série jetées, des prototypes découpés qu’on balançait dans la benne à ordures… » Écoeurée par une façon de produire allant à l’encontre de ses valeurs, Aurelia prône une production avec peu de pièces, sans pour autant renier sur la qualité des matières. C’est là qu’elle a dû ruser. Afin de proposer des vêtements dans des matières de qualité que les petits créateurs ne peuvent en général se permettre, Aurelia, grâce à ses contacts, rachète des fins de série de tissus issues de collections italiennes.

Cela lui permet de proposer des vêtements de créateurs dans des matières comme la laine, les mélanges de coton, le suède… à des prix abordables. Les tarifs vont en effet de 420€ pour les manteaux à 190€ pour les vestes classiques et 260€ pour la collection limitée. (Artwork au mur réalisé par Adeline Meilliez)

Quand tu crées, tu fais corps avec ton art

De ses années dans les maisons de couture de luxe, Aurelia garde aussi une fascination pour la « noblesse du savoir-faire », qu’elle retranscrit au quotidien dans la création de ses collections « slow fashion ». « J’aime beaucoup l’ambiance dans les ateliers, susurre-t-elle. Quand tu pars d’un carré de tissu et qu’à la fin, tu arrives à une veste avec un tombé impeccable, c’est gratifiant, c’est une satisfaction personnelle. Ça me subjugue toujours autant. Je peux m’arrêter devant une boutique d’ébéniste ou de lutiers et y observer l’ambiance, les outils, le calme méditatif. Quand tu crées, tu fais corps avec ton art. C’est du réel, tu touches la matière, tu es face à toi-même avec des moments de stress, d’échec. C’est important dans ta progression personnelle, mais aussi dans l’amour que tu te portes. Un travail bien fait, c’est aussi une représentation de soi ».

Une success story loin de l’industrie des start up berlinoises

Si le parcours d’Aurelia me touche et m’inspire tant, c’est qu’il montre autre chose du paysage économique berlinois, aujourd’hui envahi par les start up à la croissance fulgurante, et dont les rênes sont bien souvent tenues par des hommes. Dans la petite boutique d’Aurelia, il règne une douce ambiance régressive, artisanale, un calme, une lenteur… et cette idée que l’on peut réussir, sans multiplier par 100 son chiffre d’affaires et par 10 son personnel chaque année. Il n’y a pas de pitch pour le service client, ni de phrases toutes faites qui auraient été élaborées dans un open space moquetté. Dans la boutique d’Aurelia, vous serez accueilli·e de la plus simple des manières, avec l’envie de vous aider dans votre quête stylistique… : « Ma clientèle va de 20 à 70 ans, et à chaque fois, les moments passés avec mes clients sont des instants de grâce. »

Pour autant, Aurelia ne manque ni d’ambition, ni de pugnacité. Après avoir fêté les 10 ans de sa boutique, elle poursuit les projets et les collaborations : organisation d’évènements avec des artisans locaux une fois par mois, enseignement dans une école de de mode, et poursuite d’ateliers workshops. Inspirante et inspirée, cette cheffe d’entreprise au caractère bien trempé a pourtant un secret de réussite qui n’a rien avoir avec son habileté à manier ciseaux et autres machines à coudre : « Les gens qui réussissent sont ceux qui ont une vision, une ligne invisible qu’ils suivent, comme un chemin. Sans cela, il n’est pas possible de se réinventer ». Et de perdurer, au-delà des fluctuations de la mode, des tendances marketing, mais aussi des pandémies et autres coups du sort.

Infos pratiques :

Adresse de la boutique Aurelia Paumelle : Schliemannstraße 14A, 10437 Berlin, Allemagne (quartier Prenzlauerberg) – Horaires : du mardi au vendredi de 13h à 19h, samedi de 12h à 18h. Fermé le dimanche et le lundi.
E-shop : https://aureliapaumelle.com/
Instagram : https://www.instagram.com/aureliapaumelle/

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