Mercredi après-midi, je peux enfin souffler après avoir enchaîné deux « shifts » de dix heures à servir cafés et paninis quand je reçois un message de mon amie Amandine : « Hey, es-tu aux alentours de Westminster? ». Amandine est journaliste à Paris et je me doute que si elle me demande ça, c’est qu’il se passe quelque chose. Quelque chose de grave. Je me connecte sur le site du « Guardian » et apprends la triste nouvelle : quatre personnes ont été tuées devant le Parlement britannique par un homme d’une cinquantaine d’années abattu par la police. S’il a agi en loup solitaire, l’attaque a bien été revendiquée par l’Etat islamique. Immédiatement, je repense aux attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, au Bataclan ensanglanté le 13 novembre de la même année, mais aussi à Bruxelles (dont les attentats ont eu lieu un an jour pour ce même jour), à Nice, à Berlin…
Les mots du journaliste David Thomson, dans son ouvrage « Les Revenants » (sur les jihadistes français), résonnent dans ma tête : « Dès les premières frappes de la coalition en Irak en août 2014, l’Etat islamique… bascule d’une stratégie uniquement régionale vers une stratégie de jihad global. Tous les appels de l’organisation terroriste incitent dès lors leurs sympathisants à tuer dans leur pays. »
A Londres, le maire Sadiq Khan a appelé à une veillée le lendemain soir, jeudi 23 mars. J’y vais? J’y vais pas? J’hésite deux secondes et puis… Même si « commuter » à Londres est fatigant et cher depuis Guildford, où j’habite, j’ai envie de « vivre » ce moment de solidarité, au lendemain d’un attentat meurtrier dans l’une des plus grandes villes du monde, le premier après le Brexit, le deuxième depuis le fameux 7/7 (attentats du 7 juillet 2005 commis dans plusieurs stations de métros londoniennes qui ont tué plus de 50 personnes).
Arrivée à Trafalgar Square, je suis surprise par le calme qui règne. On n’entend que le ron-ron des hélicoptères qui survolent la place. Il est 18h30, il y a encore du monde… mais pas tant que ça. « 3000 personnes », me souffle un policier en tenue (des centaines selon Le Monde, entre les deux selon moi). J’ai loupé le discours des officiels (à retrouver ici pour ceux que ça intéresse) mais les journalistes sont toujours là.
Je suis aussi surprise par le nombre de communautés religieuses qui ont fait le déplacement. Des hommes et des femmes portent fièrement T-shirts « I am a muslim », voiles, kippas, mais aussi drapeaux anglais et pancartes… Ils sont d’ailleurs pris d’assaut par les journalistes, et par les passants qui dégainent leur smartphone pour les prendre en photo. L’atmosphère est un peu étrange, à la solennité se mêle une espèce d’ambiance « zoo » où chacun vient prendre sa photo, enregistrer son interview…
A côté de la horde de caméras alignées au centre de la place, il y a cette dame voilée qui lève une pancarte « Not in my name« . Son air est grave, imperturbable, on dirait presque une statue. J’essaie de prendre une photo d’elle en train de se faire photographier, mais, avec la pénombre, le cliché est tout flou… Je repasse dix minutes plus tard, elle est toujours là, pancarte en l’air. Je tente une nouvelle photo… encore ratée. Tant pis, je suis partagée entre l’envie de prendre la photo parfaite et par une certaine gêne face à la mise en scène.
A côté des fontaines de la place, un rectangle de bougies éclaire des dizaines de visage venus se recueillir, sous les flashs des photographes. Une dame allume une bougie, un homme regarde les petites flammes qui luttent contre le vent, et malgré les flashs, malgré la foule, le silence qui emmitoufle la place rend l’instant tristement beau. Je pose mon appareil, je m’accroupis, et je regarde moi aussi danser les flammes… Oui, j’ai bien fait de venir.