Je suis une migrante. Pas comme ceux qui risquent leur vie pour traverser la Manche, s’entassent dans des « jungles » et paient une fortune pour espérer fouler le sol anglais, d’accord. Mais il n’empêche, le vote des Britanniques pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en juin 2016, a mis en lumière une chose que l’on avait oublié : les frontières et leurs conditions pour les franchir. J’ai pris conscience de cette situation en lisant le rapport de la Corporation de la City (instance qui gouverne la place financière londonienne), qui propose l’instauration de visas de travail régionaux, sur les modèles australien et canadien.

Avec plus de 2 millions de travailleurs européens sur le sol britannique (soit 6,8% de la main-d’oeuvre du pays), le Brexit pose clairement la question du sort des travailleurs mais aussi des futurs migrants européens, question qui a largement cristallisé les débats avant le référendum du Brexit. Ce sont vos amis, cousins, petits copains ou grands frères partis tenter l’aventure au pays du fish and chips, du cricket et des contrats à zéro heure.

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Concrètement, le rapport de la City, mené par le cabinet d’analyses PwC, propose l’instauration de visas de travail régionaux, délivrés en fonction des besoins de main-d’oeuvre que chaque région économique (Newcastle, Manchester, Birmingham…) déterminerait par le biais de dossiers déposés par les entreprises. Les travailleurs non Britanniques postuleraient directement pour obtenir un visa de travail pour une région et une entreprise déterminées, et ne pourraient rester que dans cette région. Deux types de documents seraient délivrés : un de court terme plafonné à 12 mois et un de long terme de trois ans, renouvelable une fois.

Les travailleurs européens devraient pouvoir rester au Royaume-Uni, pourvu que les expatriés britanniques reçoivent le même traitement en Europe, selon Theresa May

Un autre rapport, mené cette fois-ci par Migration Watch UK, un think tank clairement à droite, va plus loin en proposant que les mêmes conditions (drastiques, voir plus bas) exigées pour les migrants non européens soient appliquées aux ressortissants européens. L’étude (qui est à prendre avec des pincettes car les rapports de cette organisation font souvent polémique) propose également d’instaurer des quotas (30 000 visas par an) et n’autoriser que les travailleurs hautement qualifiés. Un chiffre qui paraît peu réaliste quand on sait que, entre début 2015 et début 2016, 224 000 nouveaux travailleurs européens ont été enregistrés sur le marché de l’emploi britannique.

La position de Downing Street sur le sujet est plus ou moins claire : le terme de « niveau acceptable » revient dans les médias britanniques, le Premier Ministre Theresa May ayant annoncé un chiffre d’immigration nette (différence entre immigrants et immigrés) de moins de 100 000 par an. Pour la seule année 2015, 330 000 migrants nets ont été enregistrés, un niveau record.

Quant au sort des ressortissants européens travaillant actuellement au Royaume-Uni, Theresa May s’est voulue rassurante, affirmant, début octobre, que les travailleurs européens devraient pouvoir rester au Royaume-Uni, pourvu que les expatriés britanniques reçoivent le même traitement en Europe. Du donnant-donnant, en somme. Le secrétaire permanent du Ministère de l’Intérieur Mark Sedwill a cependant tenu un discours plus nuancé, affirmant que les ressortissants européens vivant dans le pays depuis au moins cinq ans et disposant d’un permis de résidence permanent ne pourraient effectivement pas être légalement renvoyés dans leur pays. Mais pour les autres, leur droit de rester une fois les négociations du Brexit abouties n’est pas garanti.

Un besoin de main-d’oeuvre étrangère

Là où cela devient intéressant pour les migrants européens, c’est que le pays a cruellement besoin de main d’oeuvre étrangère. Les secteurs industriel, de la restauration et de la banque comptent en effet parmi leur force de travail respectivement 10%,  8% et 6,8% de travailleurs européens. Le secteur de la santé et des soins pourrait particulièrement souffrir d’un frein à l’immigration européenne. Ils seraient en effet 84 000  ressortissants européens à travailler dans le secteur des soins à la personne. Cette dépendance européenne s’explique par le fait qu’en 2012, les lois pour les travailleurs non européens de ce secteur se sont durcies. Une étude relayée par le Guardian prévoit même qu’un million de travailleurs à la personne pourraient manquer d’ici 2037 si l’immigration est stoppée et que, même dans le cas d’un scénario de migration élevée, une pénurie de 350 000 travailleurs serait enregistrée, du fait du vieillissement de la population.

Les propositions de Migration Watch UK semblent donc peu réalistes. Une étude reprise par le Financial Times affirme en effet que si les exigeances pour les travailleurs non Européens s’appliquaient aux Européens, les trois quarts d’entre eux ne rempliraient pas les critères, car la grande majorité occupe des emplois peu qualifiés (voir ci-dessous).

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Paradoxalement, les règles risquent de se durcir pour ces travailleurs non ou peu qualifiés, les campagnes pro Brexit ayant largement appuyé leurs arguments sur une prétendue invasion de travailleurs européens au Royaume-Uni. Les terres de Shakespeare risquent donc de ressembler à celles de l’oncle Sam : difficilement accessibles pour le quidam venu vivre le folklore britannique et approfondir sa maîtrise de la langue en cherchant des petits boulots (comme moi)…`

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