De l’enfer doré de la vie parisienne au paradis artificiel des clubs berlinois, Sabrina Jeblaoui a longtemps noyé son malaise dans un quotidien de paillettes pas toujours glamour. Avec son projet photographique NachtClubsBerlin, qui cartonne sur Instagram, elle est enfin en phase avec elle-même. Retour sur le parcours d’une audacieuse que la vie n’a pas épargnée.
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« J’ai commencé la photo quand j’étais en stage à New York, à l’âge de 18 ans. J’étais vraiment pauvre là-bas et j’ai dépensé 450 euros dans un reflex numérique ! Je me suis grave mise dans la merde… J’allais dans les rues de Soho, je prenais des photos street style très mode. Je n’étais pas payée, c’était juste un passe-temps. Ça m’amusait d’aller voir les gens, de leur parler, ils avaient des looks super cools. C’était en 2011, l’année de la légalisation du mariage homosexuel à New York. Du coup, je suis allée à la Gay Pride. J’ai réalisé que la photo me permettait de connecter facilement avec les gens. Niveau technique, c’était pas ouf. Mais quand j’étais plus jeune, j’avais juste l’audace. Je ne pensais pas à ce que les gens allaient dire. En fait, mon intuition m’a toujours guidée : acheter cet appareil photo, quitter le milieu de la mode, faire du théâtre. Ça m’appris à me demander ce que je voulais vraiment faire au plus profond de mon âme. »
L’impossible vie parisienne
Autant vous prévenir tout de suite : Sabrina est spontanée et sans filtre. Son parcours en atteste. À tout juste 17 ans, elle quitte son Perpignan natal, où elle a grandi en famille d’accueil. Direction : Paris. De fil en aiguille, elle trouve un travail en événementiel dans le milieu de la mode. L’enfant du Sud pénètre le cercle select des petites célébrités parisiennes. « J’ai réalisé que je pouvais intégrer un milieu qui m’était complètement étranger, mais je me sentais en décalage. » Loin des soirées branchées, Sabrina vit en effet dans un modeste 17 m2 et porte des vêtements de seconde main. Lassée et surmenée, elle décide de faire une pause… loin, très loin, en Argentine plus précisément, via un PVT (Programme Vacances Travail). Au bout de quelques mois, rebelotte. Sabrina tourne à nouveau rond. « J’ai réalisé que je n’avais pas de projet à Buenos Aires. Il y avait un manque de sens dans ma vie. Je n’étais jamais bien là où je me trouvais. »
Il y avait un manque de sens dans ma vie. Je n’étais jamais bien là où je me trouvais
En creusant un peu, il y a bien un truc qui lui tient à coeur : le théâtre. Ni une ni deux, elle repart à la case Paris. Elle n’a plus un sou en poche. Mais tient bon (l’audace, rappelez-vous !). Intègre une école de théâtre où elle s’entraîne 17 heures/semaine. Travaille dans des restaurants et en interim pour payer son loyer. « Au bout de 6 mois, je n’en pouvais plus. Tu es en face de gens qui ont fait du théâtre depuis qu’ils sont tout petits, qui ont des parents qui ont les moyens. Ils ont du temps car ils ne travaillent pas. Je me sentais encore un décalage. Et puis je n’avais pas confiance en moi, je ne savais pas qui j’étais. Quand tu n’es pas dans le moment présent, tu ne peux pas jouer. J’ai décidé d’arrêter. Je pense que ce n’était pas le bon moment. »
Le piège des nuits berlinoises
Sur un coup de tête, elle décide de partir à Berlin. « Quand je suis rentrée d’Argentine, les gens de la mode ne me calculaient plus. Ça a été un coup dur. Je ne travaillais plus dans ce milieu donc je ne leur apportais plus rien. Mais je suis contente car ça a fait un tri naturel. » De la capitale allemande, elle connaît déjà bien les clubs et les parcs, qu’elle visite, de 2013 à 2016, avec sa meilleure amie qui y a déménagé. Elle pose ses valises à l’été 2017. Trouve un travail dans un centre d’appels. « Je suis arrivée avec plein de grands espoirs. J’ai grave fait la fête. Je travaillais 40 heures la semaine. De juillet à octobre-novembre, ça allait. Et puis… » C’est son premier hiver à Berlin. La météo lugubre, le célibat qui la pèse et le boulot insipide vont la faire basculer dans le cercle vicieux de la fête made in Berlin. « Je pouvais sortir 20 heures d’affilée. Je prenais beaucoup de drogue et de plus en plus car ça ne me faisait plus d’effet. » Lucide, elle reconnaît : « Je ne voyais pas trop les dangers. À Berlin, vu que tout le monde le fait, tu te dis que c’est normal, que tu contrôles tout. »
J’ai été en famille d’accueil parce que mes parents étaient dealers et drogués. J’ai réalisé que j’étais en train de reproduire la même chose mais d’une façon plus moderne
Pourtant, les lendemains de fête sont rudes. Son passé la rattrape. « J’ai eu des flash backs de mes parents. J’ai été en famille d’accueil parce qu’ils étaient dealers et drogués. J’ai réalisé que j’étais en train de reproduire la même chose mais d’une façon plus moderne et plus cool. Quand tu te vois prendre des lignes, c’est hardcore… », glisse-t-elle sans détour. Heureusement, Sabrina fait partie de ces créatures qui puisent leur force dans un optimisme inné. « Je me suis dit : ‘Tu as le choix de plonger et de ne plus jamais te relever ou tu décides de ta vie et tu te responsabilises‘. J’ai commencé à faire un rituel tous les matins. Je faisais de la méditation, j’écrivais mes pensées, je me regardais dans le miroir et je disais des choses positives. » Petit à petit, les sorties en club se font plus rares. Elle rencontre son amoureux.
Aux portes des clubs, la renaissance
Quelques mois plus tard, l’envie de faire des photos la titille à nouveau. Depuis Buenos Aires, elle se consacre entièrement à la photo argentique, dont l’ADN délicieusement rétro lui correspond bien. « Je voulais prendre en photo les gens à la sortie de clubs depuis longtemps », confie-t-elle. Un dimanche de septembre, son courage la mène devant la forteresse de béton du Berghain, le club le plus célèbre de Berlin. « J’avais peur, je voulais faire marche arrière, mais je suis dit : ‘Essaye, juste essaye.’ Je pensais que personne n’allait accepter. Mais en fait pas du tout ! Quand j’ai vu mes photos, je me suis dit : ‘C’est vraiment ce genre de clichés que j’aime’. »
Le cercle vertueux est lancé. Tous les dimanches ou presque, elle mitraille les oiseaux de nuit aux looks sophistiqués qui regagnent leurs pénates. Comme à New York, la première fois où elle a appuyé sur la gâchette d’un appareil photo, elle « connecte avec les gens », sans se poser de questions. « Ça me rappelait les fois où j’étais en club mais je n’avais pas besoin d’y aller ! », sourit-elle. À partir de là, tout s’enchaîne. Le compte Instagram qu’elle crée, @NachtClubsBerlin, explose. Il enregistre aujourd’hui plus de 20.000 abonnés. Les médias s’intéressent à son travail (Trax Magazine, Blind Magazine, Electronic Beats, le Tagesspiel…).
Ce projet ne m’a pas fait gagner d’argent mais il m’a apporté beaucoup de foi et de confiance en moi
« Je suis encore surprise de ce que j’ai fait, rigole Sabrina. Quand tu as une idée qui revient tout le temps dans ta tête, il faut le faire. Ce n’est pas pour rien que ça revient. C’est ton âme qui te dit quelque chose. Mais il ne faut pas avoir d’attente. Ce n’était pas mon but d’avoir 20.000 followers. Si tu penses comme ça, tu te mets la pression et tu perds l’essence de ce que tu fais. Ce projet ne m’a pas fait gagner d’argent mais il m’a apporté beaucoup de foi et de confiance en moi. J’ai réalisé que je pouvais aller au bout d’un projet. »
Suite à cette petite victoire, Sabrina se débarrasse de ce qui lui pèse. Son travail d’abord. Puis, elle décide d’apprendre la langue de son pays d’accueil. « Je suis allée jusqu’au niveau B1. Par la suite, j’ai refusé de faire des boulots payés moins de 1500 euros. » Aujourd’hui, elle a renoué avec d’autres passions.« Je ne suis pas cantonnée à un métier. Je ne suis pas que photographe. Je veux aussi aider les gens. Je vais commencer une formation en thérapie intuitive, une médecine alternative qui a un peu les effets de l’hypnose. Je me suis voilée la face pendant longtemps mais aider les autres est quelque chose de très important pour moi. Je ferai plein de métiers dans ma vie ! », affirme-t-elle avec son accent teinté de soleil.
Il y a pourtant une chose qui a guidé les choix pas toujours rationnels de l’intrépide Sabrina : la connexion à l’autre, simple, sans chichi. Loin des filtres artificiels du numérique, des milieux branchés sournois ou du bonheur illusoire de la drogue.
Pour suivre Sabrina :
– Sur Instagram : @NachtClubsBerlin et Sabrinajebaoui.photography;
– Son site Internet : Sabrina Jeblaoui.
1 Comment
Son parcours est fou mais complètement inspirant. Je ne connais pas du tout son compte Instagram mais je vais aller y faire un tour par curiosité ^^ Il doit y avoir de sacrés looks en plus de ceux que tu as présentes!