Sébastien est un artiste street français installé à Berlin depuis 2019. Avant que les murs de la capitale allemande ne lui tendent les bras, ce touche-à-tout a pourtant dû se prendre pas mal de portes dans la figure. Retour sur le parcours d’un autodidacte qui a enfin trouvé à Berlin un cocon où faire ses armes artistiques.
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« Je n’ai pas du tout le parcours typique du street artiste berlinois. Je viens d’un tout petit village de Franche-Comté où le street art n’existe même pas. Je suis un pur autodidacte. Je dessine depuis que je suis tout petit mais je n’ai jamais fait d’études là-dedans. J’ai commencé à peindre sur les murs il y a un an et demi, quand je suis arrivé à Berlin. »
« Quand tu commences à faire des oeuvres sur des bâtiments, ça prend une autre dimension. Tu vois que tu aides les gens à se sentir bien, en étant au contact d’une oeuvre. C’est en tout cas ce que ça me fait. Je suis allé voir des fresques géantes dans le 13e à Paris. Quand tu te balades là au milieu, tu te sens bien, tu te dis que t’aimerais bien avoir un appart dans le coin. Poser une oeuvre d’art sur une grande barre de béton gris, peu importe le style, ça apporte du bonheur aux gens. »
L’arrivée à Berlin
Sébastien Nayener, alias Seboh Creation, 34 ans, a pris un tournant radical en 2019, en posant ses pinceaux à Berlin. « C’est ma manager, Gabrielle, qui a vécu à Berlin, qui m’a dit que mon style matchait bien avec la capitale allemande. On y est allés une première fois ensemble, fin 2018. » Il présente son travail aux gérants du Teufelsberg, un lieu de street art réputé, qui a poussé sur une ancienne station d’écoute de la NSA, au sud de Berlin, et on lui dit qu’il peut venir peindre quand il veut. Pourtant, à l’époque, il n’a jamais touché une bombe de sa vie.
« J’ai commencé ici à Berlin, avec un organisme qui s’appelle Paint your first graffiti, tenu par un Français. C’est là que j’ai appris les bases. » Il appréhende aussi l’utilisation de la peinture en spray : « Tu n’as pas de contact direct avec le support, du coup c’est perturbant », explique-t-il. Seb pourrait parler des heures de la peinture de rue, des symboles spirituels qu’il utilise pour « transposer une histoire » avec son langage à lui, de sa connexion avec les murs qu’il graffe, des heures de boulot qu’il passe, perché sur son échelle, sous le soleil brûlant de juin comme du vent assassin de décembre, à redonner vie aux nombreux murs oubliés de la capitale allemande. « C’est une autre dimension que j’aime dans le street art : redonner vie à des murs abandonnés. Les anciens viennent souvent me voir pour me dire qu’ils apprécient mon travail. »
La découverte de l’urbex
Pour affiner son coup de bombe, Seb s’entraîne en effet sur les murs abandonnés. Et ça tombe bien, il y en a beaucoup à Berlin. Pour trouver les meilleurs spots, il fait de l’urbex (urban exploration, qui consiste à découvrir des lieux laissés à l’abandon) avec Guillaume, un passionné rencontré au Teufelsberg. « C’est vite devenu addictif », concède-t-il, sourire en coin. Découvrir des pépites architecturales au milieu de nulle part, parfois escalader les murs, éviter les gardiens, ou bien leur expliquer son projet artistique : c’est de cette manière que Seb trouve les toiles de béton qu’il recouvre de son art. « Un jour, j’ai expliqué à un gardien que je voulais juste peindre sur l’un des murs du bâtiment, que j’étais pas là pour dégrader. Il m’a laissé entrer. »
Seb flirte avec la légalité, il le sait, « mais à qui veux-tu que je demande une autorisation ? », ironise-t-il. Ces lieux sont devenus son quotidien, bien loin des forteresses de débauche que sont les clubs et à l’écart du centre touristique. Ses quartiers de prédilection ne sont pas les prisés Kreuzberg, Friedrichshain ou Prenzlauer Berg mais plutôt Pankow, Lichtenberg ou Weissensee. C’est là qu’il y découvre des rooftops délabrés et vides, avec vue imprenable sur la tour de la télévision, des hôpitaux laissés à l’abandon, et même des anciens bunkers.
Inégalité de genre et symboles spirituels
« Berlin est un terrain de jeu immense pour tout artiste street art », aime-t-il répéter. Et pour cause : l’inspiration est présente presque à chaque coin de rue. « Quand je me balade dans Berlin, je vois des oeuvres de street art partout, et ça me donne des idées. » Ses oeuvres puisent elles leurs racines dans ses deux sujets de prédilection : les inégalités hommes femmes et la maltraitance animale. Derrière ses gros bras tatoués, Seb cache en effet une étonnante sensibilité qu’il exorcise à coup de bombe. « La différence de statut qu’il peut y avoir entre un homme et une femme au sein de la société, je trouve ça grotesque, dépassé. Ça m’énerve ! », assène-t-il.
L’oeuvre sur le mur du Teufelsberg représente une femme samouraï. Nommées Onna-bugeishas, ces femmes japonaises combattaient au même titre que les hommes durant le Moyen-Âge. Mais ces faits historiques ont été oubliés
Profitant de la visibilité que lui offre le Teufelsberg, il a donc choisi d’étaler tout en grand et en couleurs ce qu’il avait sur le coeur. « L’oeuvre sur le mur du Teufelsberg représente une femme samouraï. Nommées Onna-bugeishas, ces femmes japonaises combattaient au même titre que les hommes durant le Moyen-Âge. Mais ces faits historiques ont été oubliés, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de les représenter sur ce mur. »
Sa spécialité réside dans les symboles et les représentations qui se cachent dans les détails de l’oeuvre. Ainsi, il a créé sa propre base de données de symboles spirituels issus de diverses civilisations (japonaise, égyptienne, viking, etc.). Il s’en sert également pour les oeuvres personnalisées qu’on lui demande, comme les thérapeutes qui souhaitent décorer leur cabinet avec une fresque unique. « La personne me raconte son histoire personnelle et je la retranscris de manière artistique. Pendant la discussion, j’ai des flashs de parties de tableau qui m’arrivent. Ensuite, je retranscris ça à travers des dessins d’animaux, en fonction de leur signification spirituelle, et au travers de symboles ancestraux. »
« Je ne rentrais pas dans le moule »
Avant d’en arriver là, Seb a eu un parcours scolaire décousu. Il débute dans la gendarmerie nationale (eh oui!). Mais après trois années dans un peloton d’intervention, il démissionne : « Je n’étais qu’un pion là-bas ». Il reprend alors des études pour devenir prof d’EPS. Après 5 ans à bosser « comme un dingue », il échoue, par deux fois, au diplôme du Capes. Il a 29 ans. C’est la douche froide. « J’ai réalisé que je ne rentrais pas dans ces institutions-là, qui sont très carrées et codées », analyse-t-il. Il se retrouve donc les bras ballants et sans le précieux sésame. Il s’inscrit au hasard dans une formation en menuiserie. « Je ne savais même pas tenir un tournevis ! », rigole-t-il. Pourtant, il finira son cursus et sera même embauché dans une entreprise de pose de cuisine. Mais ça ne le passionne pas.
C’est à ce moment qu’il renoue avec ses premières amours : le dessin. Pour se vider la tête, juste comme ça, les week-ends. « J’ai fait un maître Yoda habillé en Run-DMC et je l’ai posté sur Facebook. Un pote m’a contacté : ‘Tu le vends ?’. Ça ne m’avait même pas effleuré. Mais ça a commencé comme ça. Je faisais des petits dessins en format A4, pour les potes de la fac de sport. » À l’époque, il s’inspire de dessins trouvés sur Pinterest ou Instagram et les reproduit en y apportant sa touche.
Peu à peu, il affine son coup de crayon. Expose dans un restaurant. Est contacté par Gabrielle, sa manager. Et un jour, il franchit le pas : il démissionne et crée son entreprise afin de faire du dessin son métier. « Je n’y connaissais rien à l’art, ni à l’entrepreneuriat, souffle-t-il. Mais au final, mon parcours antérieur n’a pas été inutile : la gendarmerie m’a donné la rigueur, les études à la fac m’ont appris à disserter, la formation en menuiserie m’a permis d’avoir des bases en comptabilité, et c’est important lorsque l’on se lance à son compte. »
Galères berlinoises
À Berlin, malgré les feux verts qui s’allument, tout n’est pas facile. « Quand je suis arrivé, je ne parlais pas allemand et très peu anglais », confesse-t-il. Comme tout le monde, il galère pour trouver un logement. La barrière de la langue l’isole, bien que ses progrès dans la langue de Shakespeare commencent à porter leurs fruits. Pour arrondir les fins de mois, il livre des pizzas. Du haut de ses 34 ans, il a un seul regret : celui de n’avoir pas pris cette décision plus tôt : « C’est pour ça que je me saigne pour ce mur. J’ai déjà perdu trop de temps », sourit-il. Lentement mais sûrement, l’ancien gendarme et le déchu du Capes se fait une place au sein de la Mecque du street art européen. « Ici, les choses se font naturellement, je n’ai pas besoin de batailler. Les gens sont ouverts, ils ne me prennent pas de haut », constate-t-il. C’est qu’à Berlin, les murs s’ouvriraient apparemment plus facilement qu’ailleurs…
Si vous voulez suivre Seb dans son quotidien, vous pouvez le suivre sur Facebook, Instagram ou Etsy.
Les lieux de street art préférés de Seb
– Le mur légal de Graffiti Corner (Böcklinstrasse 1, 10245 Berlin Friedrichshain)
– L’ancien hôpital Domjüch de Neustrelitz, à 2h au nord de Berlin
– Le Teufelsberg, une ancienne station de la NSA, construite sur une colline à Grünewald, et transformée en paradis du street art
– Le bâtiment abandonné de la Alt Buch 74 (Karow)
– Pour trouver des lieux d’urbex: www.abandonedberlin.com
1 Comment
Encore une belle découverte via ton blog. Merci Elodie pour cette nouvelle belle histoire et l’émerveillement visuel. J’aime beaucoup le travail de Seb, dans un sens, ce n’est pas plus mal qu’il n’ait pas eu le CAPES ^^ (Quelle horreur ce concours!)