J’ai rencontré Yasmin lors de ma semaine de volontariat à Calais dans une association d’aide aux réfugiés, Help Refugees. C’était en novembre dernier juste après le démantèlement de la « jungle ». Une opération salutaire selon les politiques et les médias, « une semaine triste » pour cette Britannique de 29 ans, qui continue de retourner régulièrement dans ce bout de France tristement célèbre. C’est cependant à Londres que j’ai revu Yasmin, la semaine dernière, alors qu’elle organisait le premier événement autour de son mouvement solidaire Stand for humanity.
« La première fois que j’ai mis les pieds dans la ‘jungle’, je ne m’attendais pas à trouver un tel niveau d’espoir et d’amour. Ces gens ont toutes les raisons d’être haineux, en colère, aigri… Mais ils ne le sont pas ». Ma rencontre avec Yasmin a eu lieu dans l’entrepôt où nous triions, pour une association d’aides aux réfugiés, des vêtements, en novembre 2016. « Tu vois le camion juste ici? C’était le camion qui apportait le Wifi au sein du camp », m’explique Yasmin, qui fait les allers retours entre Calais et Londres depuis plus d’un an pour prêter main forte aux associations locales. Comme elle, la plupart des volontaires viennent de l’autre côté de la Manche, pour un week-end, une semaine, parfois plusieurs mois. Et comme beaucoup d’entre eux, elle est nostalgique.
Le paradoxe de la « jungle »
Yasmin est originaire d’une petite ville du côté de Birmingham, dans le centre ouest de l’Angleterre. Elle est, à 29 ans, « life coach » à Londres, après avoir fait des études de psychologie. Calais représente un tournant dans sa vie. Je pourrais l’écouter parler des heures de ses souvenirs de la « jungle », une « jungle » bien différente de tout ce que j’ai pu lire dans les médias. Comme ce soir où un jeune Syrien a débarqué, seul, paumé. « Il cherchait un endroit où dormir, raconte Yasmin avec sa voix de conteuse. Il faisait nuit, l’entrepôt était fermé, il ne pouvait pas se faire enregistrer. Il y avait une tente, habitée par des hommes Soudanais. C’était une énorme tente qu’ils avaient construit avec des bouts de tapis, de moquette et des couvertures. L’un d’entre eux lui a dit : ‘Mon frère, viens ici avec nous’. Le jeune Syrien l’a remercié et il est resté avec ces hommes qu’il venait à peine de rencontrer. Originaires de différentes régions du monde, ils ont passé la nuit à parler, chanter, boire le thé. C’était juste incroyable de les voir si généreux les uns envers les autres, étant donné la situation dans laquelle ils se trouvaient ».
C’est tout le paradoxe de la jungle : l’insalubrité et la misère ont aussi engendré, outre les faits divers que l’on peut lire dans la presse, un élan de solidarité inédit (la médiatisation du camp et ces 10 000 réfugiés ayant sûrement aussi aidé), de la part de personnes extérieures mais aussi à l’intérieur du camp en lui-même.
Les migrants vivent maintenant dans la jungle, au sens littéral
De ces escapades calaisiennes, Yasmin gardent aussi des souvenirs plus amers. L’amitié qu’elle a pu tisser avec certains migrants lui ont renvoyé en pleine figure la cruauté de la situation vécue par ces hommes et ces femmes qui tentent de traverser le tunnel :
« L’un de mes souvenirs les plus douloureux, c’est la rencontre avec cette jeune femme réfugiée, enceinte de 5 mois. Elle avait 25 ans. Elle nous donnait tout le temps à manger, même si on lui disait que c’était sa nourriture, qu’elle devait la garder pour elle. Un jour, on a passé une super après-midi ensemble. C’était le jour où je devais rentrer en Angleterre. Au moment de se dire au revoir, elle a mis mon sac dans la voiture, et j’ai réalisé que j’allais rentrer chez moi, là où elle essayait désespérément d’aller, pour rejoindre sa famille, qui vit ici… Mais elle ne pouvait pas monter dans la voiture avec moi. Rien que d’en reparler, ça me fait tout drôle… »
« Il y aura toujours une communauté et de la solidarité à Calais »
« Le jour où le camp a été démoli a été une journée triste. Qu’on soit bien d’accord, c’était un endroit horrible, personne ne voudrait laisser un être humain vivre dans de telles conditions, mais il y avait une âme, dans ce camp, quelque chose que je n’ai jamais ressenti ailleurs. Et cet âme, cet esprit, va perdurer, même si le camp a été détruit. »
« Je continue de retourner là-bas car il y a encore des gens à aider. La démolition du camp n’a rien résolu. Il y a toujours des migrants qui arrivent ici, car il y a toujours des guerres, et il y a toujours des gens qui fuient leur pays! Ces personnes vivent maintenant dans la forêt, dans la jungle, au sens littéral. Ils ont fait de cette forêt leur maison. Il y a et il y aura toujours une communauté, de la solidarité et de l’amour à Calais. Ces gens là sourient encore. »
Selon La Voix du Nord, il y aurait aujourd’hui entre 350 (chiffres de la préfecture) et 600 (chiffre des associations) migrants à Calais.
Yasmin a depuis créé son mouvement solidaire Stand for humanity. Elle s’investit dans différentes causes (lutte contre les mutilations sexuelles féminines, contre l’isolement…). Son premier événement a eu lieu samedi 20 mai, à Londres, dans une église, à quelques pas de Liverpool Street. Pour en savoir plus sur son mouvement, écoutez Yasmin dans la vidéo ci-dessous, captée lors de son événement :
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